mercredi 12 octobre 2016

Lettre ouverte à mon ami Kader Arif


Cher Kader,

Cette conversation  sur la République et ses valeurs, le modèle d’intégration face au communautarisme, nous l'avons entamée tous les deux en confiance et en amitié, il y a déjà longtemps. Jusqu'ici elle était privée mais la tenir publiquement peut avoir un sens politique pour faire connaître nos idées, convergentes pour leur plus grande part, différentes – et non divergentes – sur d'autres.

Ton interview de lundi dans Libé me permet de le faire et j'en suis très heureux.

D'abord, les convergences : elles sont nombreuses, bien sûr. Comme tu as raison de te plaindre de ce « débat-débile » sur le burkini cet été, un débat qui n'a pas honoré notre démocratie !

Comme tu as raison de te plaindre des amalgames de tant de politiques, mais aussi de tant de journalistes qui mélangent tout et ne comprennent pas que la démocratie c'est de refuser les amalgames et d'apprendre à différencier !

Comme tu as raison de préciser que « tous les arabes ne sont pas musulmans et tous les musulmans ne sont pas arabes » !

Comme tu es convaincant quand tu parles de ton identité « heureuse » (je souris avec toi …) comme d'un « mélange », une «identité multiple et complexe » !

Comme tu as raison de remarquer qu'on te demande ce qu'on ne demande pas à un Breton ou à un Basque !

Comme tu as raison de citer Hugo « Souvent la foule trahit le peuple » ! Je me demande d'ailleurs si, au lieu de dénoncer le « populisme » on ne devrait pas adopter le terme de « foulisme » …

Il y a tellement d'autres points, cher Kader, où je constate, sans surprise, nos convergences : le refus du communautarisme, la République comme seule solution, les vertus de l'engagement.

Nous n'avons pas vécu, ensemble, tant d'années d'engagement commun, au plan national, et au plan régional, dans le même Parti et auprès de Lionel JOSPIN, pour qu'il en soit autrement.

Je continue à m'en réjouir.

Reste notre – petite – divergence qui concerne la laïcité. Je te trouve une excuse : la question qui t’était posée faisait allusion aux « laïcards », mot rempli de tant de péjoratif et de mépris que ça en reste renversant, mot que j’exècre puisqu’il ne vise qu’à dévaloriser  ceux qui ont de vraies convictions laïques, mot qui exprime la vacuité de la pensée de ceux qui n’en ont pas.

Mais tu dis : « Il ne faut pas réduire la laïcité à une laïcité de combat, une laïcité « revancharde ».

Le combat ? Eh, le combat, l'ancien talonneur du Castres Olympique sait ce que c'est ! Et il ne l'a pas toujours refusé !

Je me permettrai juste de te rappeler que, historiquement la conquête de la Laïcité a été un combat. Un très rude combat. Contre une religion qui dominait tout et régentait tout dans la société française, la religion catholique, et qui, avant 1905 et après 1905, n'a jamais admis cette loi, républicaine s'il en est. Tu veux que je te dise, Kader ? A bien des égards, la République a été plus violente à l’égard de la religion Catholique il y a un siècle, qu’avec l’Islam aujourd’hui.

Alors que la République laïque soit encore un combat aujourd'hui contre tous les intégrismes religieux et, en particulier, l'un d'entre eux, plus menaçant aujourd'hui que les autres, je préfère le dire et le regarder en face. Oui Kader, la laïcité est un combat. Non pas un combat contre les religions, tu as raison de le dire, mais un combat contre les intégrismes religieux qui placent les lois religieuses au-dessus de celles de la République, et c’est cela que j’aimerais te voir préciser avec moi.

Quant à la « laïcité revancharde », je te le dis tout net : je n'aime pas du tout cette expression. Car je ne vois pas comment l'affirmation de la « liberté de conscience » c'est à dire le droit de croire ou de ne pas croire, la garantie donnée au libre exercice des cultes dans la seule limite – mais elle est essentielle ! – de l'ordre public, serait une « revanche » !?

Si c'est une « revanche », c'est que ça n'est pas la laïcité !

Et c'est pourquoi je souhaite vraiment qu'on se mette d'accord sur ce point politique essentiel.

A Droite, et à l'Extrême-Droite, il y a beaucoup de responsables politiques qui n'ont rien de laïque. Rien. Ils ne parlent de « laïcité » que pour combattre une religion et une seule, l'Islam. Ça n'a rien à voir avec la laïcité, celle de Jaurès et de Briand et, donc, il faut leur récuser le droit d'utiliser ce terme. Ce ne sont pas des laïcs !

Car si on ne récuse pas ce droit  à se réclamer de la laicité, alors on accepte l’idée que la laïcité puisse être liberticide et on affaiblit le message laïque.

Mais à Gauche, et surtout à l'Extrême Gauche, il y a des gens qui se disent laïques –et qui le sont sans doute plus, ça n’est pas difficile, que bien des gens de droite-  mais pour qui la liberté n'a pas de limites. Pour eux, la laïcité c'est le « droit à la différence » sans contraintes au risque d’instaurer la différence des droits, les droits sans les devoirs, le respect de la diversité sans la recherche de l'unité. Ils ont la République et la laïcité hémiplégiques … Et ce sont eux qui, en évoquant la « revanche » font un amalgame coupable entre la Droite et l'Extrême-Droite qui, je le répète, n'ont rien à voir avec la Laïcité, et les Républicains essentiellement de Gauche, qui rappellent avec insistance que la République est un précieux équilibre entre droits et devoirs, diversité et unité.

Merci, cher Kader, de m'avoir permis de le rappeler.

Amitiés,



Jean GLAVANY

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