samedi 8 octobre 2016

Alger la blanche

Je poursuis mon travail sur le Maghreb par une visite aux autorités algériennes. Du point de vue des rapports à la religion et, en particulier du combat contre l'intégrisme islamiste radical, l'Algérie vit une double particularité :
- d'abord parce que, dans les années 90, après la "presque victoire "du parti islamiste, le FIS, aux élections de 91 et le coup d'état militaire, l'Algérie a vécu une "décennie noire" de véritable guerre civile d'une violence terrible et de dizaines - centaines ? - de milliers de morts qui a profondément traumatisé la population.
Même si ces années s'éloignent dans le temps, on sent encore, profondément ancré dans la population un sentiment de " plus jamais ça". Quand on pense l'Algérie, il ne faut jamais oublier ce facteur majeur. Combien de mes interlocuteurs algériens me l'auront rappelé : " le coup d'Etat d'entre les deux tours des élections de 91 était peut-être un coup d'Etat constitutionnel, mais il a sauvé la République et empêché l'instauration d'un État islamiste".
En France, beaucoup de donneurs de leçons, à Droite comme à Gauche, à Gauche surtout parce que le "scrupule démocratique" y est culturellement plus développé, mais aussi au Quai d'Orsay où l'on préfère naturellement les processus démocratiques aux coups d'état, oublient cette réalité : obsédés par l'exigence démocratique, ils ont exercé une pression très puissante pour protéger les partis islamistes, "qui avaient bien le droit de se présenter aux élections et d'exercer le pouvoir si le peuple en décidait ainsi" et, donc, condamner le coup d'état. Et l'idée selon laquelle " la France n'aurait pas été aux côtés de l'Algérie dans cette terrible épreuve" ( je me demande, d'ailleurs qui était à ses côtés...) est le fruit d'un regard porté aujourd'hui, 20 ans après, mais qui fait abstraction de ces réactions et attitudes de l'époque.
De fait, il y avait une sorte d'aveuglement devant le caractère totalitaire de ces forces religieuses que la suite de l'histoire a pu permettre de faire évoluer. Je dis cela parce que le coup d'Etat de 91 éclaire une grande partie d'autres événements ultérieurs dans le monde arabo-musulman, et en particulier le coup de force de Sissi en Egypte après la démonstration totalitaire des frères musulmans au pouvoir, ou, plus remarquable, la mobilisation et la réussite du quartet tunisien face au totalitarisme d'Ennahda.
- ensuite parce que l'Etat algérien a "fonctionnariséé" l'Islam puisque les imams sont recrutés, formés et payés par l'Etat. J'ai été marqué par mon entretien avec le Ministre des cultes, un homme sage et modéré, m'expliquant dans son bureau : "l'Algérie compte 17.000 mosquées environ avec une moyenne de 1000 croyants par mosquée ; quand les imams de ce Ministère s'exprime dans le sens que nous voulons, celui d'un islam de Cordoue, ouvert et tolérant, nous touchons 17 millions de citoyens et ça a une certaine influence... ça ne veut pas dire qu'il n'y a plus de trace de radicalisme dans le pays mais disons que nous nous sommes donnés les moyens de maîtriser les choses et, notamment, d'être renseignés rapidement sur ces phénomènes." C'est cette capacité qui a d'ailleurs amené notre remarquable Ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, à signer un accord de coopération avec le gouvernement algérien, pour bénéficier de ces compétences, notamment pour la formation des imams algériens en France.
Je retrouve à Alger ce cher Rachid BOUGHERBAL, que je connais depuis longtemps pour l'avoir croisé dans différentes instances politiques internationales, et qui est désormais Président de la Commission des Affaires Étrangères du Conseil de la Nation, le Sénat algérien. L'homme a 74 ans et est professeur de cardiologie. C'est un humaniste comme il y en a peu, doté d' un beau charisme et d'une élocution riche et libre. Il me parle avec sa franchise habituelle : "Nous avons contenu le terrorisme mais il n'est pas éradiqué et nous devons rester vigilants. En particulier, nous devons faire face à la matrice du terrorisme qu'est la radicalisation des jeunes". Et l'on comprend que, sur l'une ou l'autre berge de la Méditerranée, cette question de la radicalisation des jeunes reste un problème autant qu'une énigme. Je repense au Ministre des cultes qui me disait quelques heures plus tard "Mais qui a dit, chez vous, que ça n'était pas l'islam qui se radicalisait mais la radicalité qui s'islamisait ?". Je lui réponds "C'est Olivier Roy. Et l'on peut prolonger sa pensée en précisant que c'est la radicalité qui se franchise - au sens presque commercial du terme - en s'islamisant."
Le sage Bougherbal poursuit : " Islam et radicalité ne sont pas synonymes. L'islam peut être radical mais l'Islam doit être tolérant comme les autres religions monothéistes".
Je résiste à la tentation de lui rappeler l'histoire des guerres de religions qui n'a pas prouvé, spontanément, cette nature tolérante mais... "L'Islam du Maghreb, poursuit-il, c'est l'Islam de Cordoue, celui de l'Andalousie, l'Islam des lumières, pas l'islam salafiste et encore moins wahabite. Ca n'est pas non plus un islam modéré, car ça n'existe pas. C'est un islam de séparation des églises et de l'état, comme à Cordoue". Là encore, je résiste à la tentation de lui rappeler à quel point l'islam algérien est étatisé ....
Mais dans notre long dialogue qui a suivi, je suis frappé de voir à quel point cet homme sage est à la fois lucide est inquiet, "J'ai peur" me dit-il. "J'ai peur du retour des combattants de Syrie. Ici, en Algérie, nous avons vécu l'expérience du retour des "afghans" et nous en avons un très mauvais souvenir".... où l'on comprend mieux que les victoires sur l'Etat islamique qui se dessinent en Syrie, en Irak ou en Libye, ne sonneront pas la fin de l'histoire : celle-ci nous enseigne les dangers portés par ces retours des combattants. Là encore, la leçon algérienne peut profiter à la France.

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