jeudi 22 septembre 2016

Tunis. Ma rencontre avec Hocine Abassi, secrétaire général de l'UGTT, union générale tunisienne du travail.


Je poursuis ma mission de six mois sur le Maghreb, pour le compte de la Commission des Affaires Étrangères de
l'Assemblée. Je retrouve ce pays si attachant que je commence à connaitre assez bien, qui est le seul exemple d'un "printemps arabe" suivi d'un été démocratique , certes tourmenté et fragile mais réel, un pays qui connaît aussi une situation sécuritaire douloureuse - il est aux portes de la Lybie et compte 650 km de frontière avec son voisin déchiré et inquiétant - et une situation économique très délicate, notamment -mais pas seulement- parce que son activité touristique, pourtant si essentielle,  s'est effondrée après les attentats du Bardo ou de Sousse. Parmi de nombreux et riches entretiens, je rencontre enfin Hocine Abassi, le Secrétaire général de l'UGTT. Je dis " enfin" car cela fait plusieurs années que je souhaitais cette rencontre et que plusieurs contre-temps ont contrarié ce projet. L'homme, 69 ans, est un sage qui parle d'une façon très réfléchie et posée, s'arrêtant régulièrement pour scruter sa pensée. Après quelques échanges sur la situation politique, économique et sociale de son pays, échanges qui lui permettent de redire l'indépendance de son organisation par rapport au pouvoir, et sa liberté de soutenir le gouvernement quand il respecte le "document de Carthage" (accord politique qui lie les organisations démocratiques), ou de ne pas le soutenir voire de s’y opposer s'il s'en écarte, je l'interroge sur l'islam politique et sur le parti Ennahdha. Après tout lui dis-je, votre organisation s'est levée, avec trois autres, dans ce qu'on a appelé le " Quartet" (récompensé d'un prix Nobel de la paix !)  pour imposer le Dialogue National, au moment où l'emprise sur la société de ce  parti, alors au pouvoir,  se faisait de plus en plus totalitaire et menaçait des libertés individuelles et collectives fondamentales. Aujourd'hui que ce parti islamiste n'est plus "au pouvoir" mais " dans le pouvoir"  ( 6 postes dans le dernier gouvernement !) et qu'il tient un discours se voulant rassurant , son chef Ghanouchi, affirmant qu'il a rompu avec l'islam politique pour construire l'islam démocratique , quel jugement portez-vous sur cette évolution ?

Hocine Abassi réfléchit un bon moment avant de me répondre très longuement.

D'abord, me dit-il, il faut que vous sachiez que ce parti n'a pas seulement " menacé" nos libertés, il s'est concrètement attaqué à nous pour les détruire. Je ne vous rappelle pas les assassinats politiques de nos amis, notamment Chokri Belaïd , mais sachez aussi qu'il a préparé une attaque en bonne et due forme contre notre organisation et son siège qu'il voulait prendre d'assaut. Mais nous l'avons su, parce que nous sommes très bien insérés dans la société et comptons beaucoup d'amis partout, et après avoir mis en demeure, en vain, le gouvernement d'empêcher ce complot, nous avons pris les dispositions pour le faire nous-mêmes.

Ensuite, vous devriez regarder de plus près les discours d'Ennahdha: cette histoire selon laquelle ils vont séparer, dans leurs activités, celles qui relèvent de la prédication de celles qui sont politiques, ne me convainc nullement. Séparée ou pas, la prédication n'a rien à faire dans un parti politique.

Alors, moi, quand un discours va dans le bon sens, je l’encourage. Mais ce qui m'intéresse, ce sont les actes. Voila pourquoi l'UGTT est prudente et vigilante.

Hocine Abassi va se retirer en janvier prochain et je lui demande ses projets. Je vais écrire me dit-il. Écrire mes mémoires. Mais aussi écrire pour raconter le contenu des longues, très longues séances du " dialogue national" cat le peuple tunisien a le droit de savoir. Certains acteurs m'ont fait prendre l'engagement de ne rien publier de mon vivant, alors je léguerai ça à mon fils aîné et il en fera ce qu'il voudra…

Prudence et Vigilance. Ces mots du sage de l'UGTT m'auront marqué.

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