dimanche 3 décembre 2023

Lu « Sarah, Susanne et l’écrivain » d’Eric Reinhardt, paru chez Gallimard.

 Un roman qui était dans toutes les dernières sélections des prix littéraires d’automne
 mais qui n’a rien obtenu… Un mot sur le parti pris littéraire d’abord parce qu’il prend une place non négligeable dans l’œuvre : Sarah, l’héroïne du livre confie à un écrivain qu’elle admire le soin d’écrire le récit de sa vie. Dans ce récit, Sarah devient Susanne ( avec un « s » pas « z »!). Et pendant tout le roman, le récit est ponctué d’échanges entre Sarah et son biographe ( mais s’agit-il d’un biographe puisque c’est un roman ?), parfois pour que celui-ci demande des précisions, parfois pour qu’elle lui demande de ne pas évoquer une scène, souvent pour qu’ils échangent sur leurs différences de point de vue sur l’importance des épisodes, occasionnellement pour qu’il demande l’autorisation d’enrichir le récit par de la fiction…Le procédé est intéressant: cet échange entre l’écrivain et son sujet est un exercice original . Mais je m’interroge sur l’intérêt de la chose et, en particulier, sur l’apport dudit procédé à l’intérêt du roman. Et je n’arrive pas à trouver une réponse satisfaisante sauf, peut-être, et ça devient alors une critique, que parfois l’on se perd entre Sarah et Susanne… Mais aussitôt je m’interroge encore : et si c’était le but recherché ? Et je ne sais plus quoi penser.

Car à la vérité, j’ai été beaucoup plus intéressé par l’histoire de Sarah que par le parti-pris littéraire ! Alors revenons à cette histoire sans, bien sûr, la déflorer : Sarah, la quarantaine, mariée à un cadre supérieur du privé, deux enfants, architecte en réussite, artiste- peintre et sculptrice à ses moments perdus vit à Dijon une vie heureuse aisée, heureuse et épanouie. Un jour elle s’aperçoit d’une part que son mari - avec qui la tendresse et la sexualité sont sans nuages- , a enregistré chez le notaire et sans le lui dire que leur propriété commune de leur beau logement était à 75% pour lui, 25 seulement pour elle, et d’autre part qu’il s’absente de plus en plus souvent et de plus en plus longtemps dans leur sous-sol aménagé en bureau-salon. Elle lui demande gentiment de corriger les deux points. Fin de non recevoir …elle décide alors de marquer le coup et lui annonce qu’elle va s’éloigner, prendre un logement séparé le temps qu’il comprenne et réagisse à sa demande. Cette séparation est le début d’une histoire longue et compliquée, bien plus compliquée que ce que Sarah avait pu imaginer en quittant le domicile familial.
Une belle histoire de femme qui se découvre soumise et qui s’émancipe non sans douleur. Un livre intéressant.

samedi 2 décembre 2023

L’Institut du cerveau, formidable centre de recherche médicale innovant et ouvert, dont j’ai déjà eu l’occasion de dire en ces pages à quel point il me mobilisait depuis plus de vingt ans, organisait cette semaine deux dialogues publics pour collecter des fonds:-

- le premier entre l’acteur Guillaume de Tonquédec, formidable parrain
de l’Institut, et le neuro-psychologue Lionel Naccache, chercheur à l’ICM. L’acteur a lu des pages de son ouvrage autobiographique où, en particulier, il décrit ses difficultés dans l’enfance : une déficience visuelle qui ne lui a permis d’apprendre la lecture que tardivement et une timidité maladive. Et le médecin réagissait pour expliquer comment le cerveau réagit à ces difficultés, comment il les surmonte… et le dialogue fut d’une richesse et d’une originalité étonnantes.

- le second entre Olivier Goy dont j’ai aussi parlé dans ces pages, ce chef d’entreprise qui est atteint de la maladie de Charcot, incurable, et qui consacre avec une ardeur admirable le temps qui lui reste à soutenir la recherche, et Delphine Horvilleur, la rabine humaniste et philosophe, symbole magnifique de sagesse et de tolérance dont j’ai tellement apprécié les ouvrages. Un dialogue sur la mort d’une belle facture puisque tous les deux se sont efforcés de nous parler surtout de la vie, la vie qui nous reste, la vie sans laquelle la mort n’existerait pas. Une soirée de grande sagesse ponctuée de très beaux moments musicaux d’un compositeur et interprète malien.

jeudi 30 novembre 2023

Vu « Et la fête continue » le dernier film de Robert Guédiguian

            avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Lola Naymark, Gérard Meylan,
Robinson Stevenin. Je ne sais comment aborder mon analyse de ce film tant je me suis senti transporté pendant sa projection.

Transporté physiquement à Marseille qui n’est pas ma ville mais qui est filmée avec tant d’amour qu’on ressent comme une invite à y aller vivre.
Transporté politiquement dans cette lutte d’une association de quartier mobilisée à l’occasion de la tragédie de la rue d’Aubagne, l’effondrement de deux immeubles ayant provoqué 9 morts, et luttant contre le mal-logement. Une cause qui parle au vieux militant du logement social que je suis.
Transporté par un cinéma populaire simple et profond, tendre et naturel, humain pour tout dire, formidablement humain.
Transporté par ces acteurs , la « bande de Guédiguian » qui sont d’autant plus comme des poissons dans l’eau qu’ils connaissent et pratiquent ensemble le réalisateur, les décors, l’ambiance depuis longtemps.
Transport en particulier par la magnifique Ariane Ascaride, au charme indéfinissable, à l’intelligence communicative, à la sensibilité rayonnante.
Bref je suis sorti de cette salle de cinéma dans une sorte d’extase. Et c’est si rare.

Lu «  Les insolents » d’Ann Scott paru cher Calmann Levy. Le prix Renaudot 2023.

 Trois amis, un homme et deux femmes, qu’on peut qualifier sans grande peur de se
tromper ni volonté de nuire de « bobos parisiens » sont inséparables, se voient tout le temps, à deux ou à trois, se confient tout, partagent tout et même, parfois, leur lit. L’une d’entre les trois, Alex, compositrice de musique de film, décide de quitter Paris avec ses instruments et son matériel, et d’aller vivre seule, au bord de la mer, au fin-fond de la Bretagne dans le Finistère. Elle fait le pari que ses deux acolytes viendront la voir souvent, ce qui ne sera pas le cas. Elle fait l’apprentissage d’une maison vide qu’il faut aménager, du calme et du silence qu’il faut apprivoiser, des commerces à plusieurs kilomètres qui obligent à s’organiser pour les courses et des grandes marches sur la plage. Le confinement ajoute de l’isolement à l’isolement, de la solitude à la solitude. Mais elle se sent bien et s’interroge sans vraiment s’en plaindre de l’attitude de ses deux amis.

C’est un roman bien monotone qui nous est proposé là, monotone et gris. On attend à tout moment qu’il se passe quelque chose… mais il ne se passe rien ou pas grand chose. On en apprend un peu plus sur la psychologie de la musicienne solitaire. Mais guère plus. Et quand, sur la fin, vient se greffer l’histoire d’un quatrième personnage, un jeune homme solitaire qui vient se retirer dans le même coin de Bretagne, on imagine aisément et avec espoir que leurs deux chemins vont se croiser. Mais non. Ce n’est ni difficile à lire ni palpitant .

dimanche 26 novembre 2023

Vu « Aladin » pièce de Jean-Philippe Daguerre et Igor de Chaillé au Théâtre du Palais Royal,

     avec une distribution en alternance d’une douzaine de comédiens dont l’ami
Philippe Arbeille qui m’avait attiré là avec…mes petits-enfants ! Un spectacle pour enfants mêlant chorégraphies, musiques modernes ( dont un rock endiablé…), combats féroces, art de l’illusion et, bien entendu, la belle histoire d’Aladin, fort de sa lampe magique, parti à la conquête de la princesse enfermée dans son château. Les décors et les costumes sont de belle facture et la mise en scène arrive à ce résultat assez inattendu que même les adultes s’y amusent bien! Car le parti-pris théâtral est fait de plein de clin d’œils à la modernité, à des musiques très modernes et à des répliques ou à des scènes de cinéma ou de théâtre très actuelles. Le tout donne un petit aspect déjanté plein de charme. Molière en 2016 du meilleur spectacle jeune public bien mérité.

Lu « Le musée des contradictions » d’Antoine Wauters paru chez Gallimard dans la collection Folio.

Antoine Wauters, né en 1981 vit en Belgique et ses romans ont été récompensés par
plusieurs prix littéraires dont le Goncourt de la nouvelle 2022 pour ce livre. Un ouvrage fait de douze récits - sont-ce des lettres ou des discours ?- d’une dizaine de pages chacun donnant la parole à des femmes ou des hommes que la société réduit au silence. Des vieux atteints par la maladie d’Alzheimer comme des jeunes harcelés par la police, des bobos qui quittent leur vie de métro-boulot-dodo pour retrouver la nature comme des caissières de supermarché…

Comme ce sont des petits textes, ça se dévore sans peine. Mais ils se ressemblent tous un peu . 

Vu «The Old Oak » le dernier film de Ken Loach avec Dave Turner et Ebla Mari.

The Old Oak, littéralement le vieux chêne ce qui n’est pas neutre dans l’histoire tant
cela véhicule de valeurs d’enracinement, de résistance, de justice et de noblesse, est le nom d’un bar d’une ancienne ville minière du nord de l’Angleterre tenu par T.J. Ballantyne, un ancien mineur cassé par la vie professionnelle, familiale, conjugale. Son bar est surtout fréquenté par quelques hommes dont les conversations sont marquées du sceau du populisme. La situation de la bourgade va s’animer avec l’arrivée, sous l’égide d’associations caritatives, de réfugiés syriens à qui sont attribuées des maisons - nombreuses- désaffectées. Les piliers du bar n’apprécient pas du tout l’initiative et laissent libre cours à leur racisme ordinaire. Mais Ballantyne va se lier d’amitié avec Yara, une jeune syrienne éprise de photographie. Et l’histoire va voir s’affronter racisme et ostracisme d’une part, générosité et solidarité d’autre part.

C’est du grand Ken Loach. On connaît ses engagements et on n’est pas obligés de les partager même si je reconnais qu’ils me conviennent très bien. Mais il faut reconnaître qu’au-delà, Loach a un talent pour filmer avec une sensibilité et un humanisme étonnants. Les acteurs ne sont pas professionnels mais sont, en particulier le héros joué par Dave Turner (un ancien syndicaliste), d’un naturel exceptionnel et c’est sans doute aussi un des aspects majeurs du talent de Loach. Celui-ci a 87 ans et dit que c’est son dernier film. Mais on espère vraiment que non.